Par Nicole Moteau

Pendant 14 ans, la baronne russe Nadejda von Meck a permis au compositeur Tchaïkovski de vivre de sa musique. Sans elle, pas de Lac des Cygnes ni de Casse-Noisette. Son château de Bel-Air, à La Membrolle-sur-Choisille, est au cœur de leur correspondance. 

Août 2017. Jean-Pierre Rimsky-Korsakoff, un Français qui a toujours gardé la nostalgie de ses racines russes, visite la Touraine. Il est le descendant de la baronne Nadejda von Meck, une richissime russe, ancienne propriétaire du château de Bel-Air, à La Membrolle. Sur les traces de son aïeule, il part en quête de ce domaine dont il a appris l’existence au cours de ses nombreuses recherches. Mais nulle part dans ses lectures il ne trouve l’adresse exacte.

Cela ne le décourage pas et le pousse même à se déplacer. « Je suis parti avec mon épouse en voyage le long de la Loire pour visiter des châteaux et trouver, si possible, l’adresse de ce lieu nommé “Bel-Air” », explique Jean-Pierre Rimsky-Korsakoff. Bibliothèques, châteaux, syndicats d’initiative… il multiplie les déplacements pour trouver un indice, une piste. En vain. « Jusqu’à ce qu’un ami trouve une référence sur internet : Bel-Air à La Membrolle-sur-Choisille », raconte-t-il.

Arrivé sur place, le château est bien là mais il abrite désormais un centre de rééducation fonctionnelle de la Croix-Rouge française. Difficile d’imaginer les vies qu’il a accueillies alors. 

À gauche, le château de Bel-Air de l’époque, à droite, Bel-Air maintenant.
(Photo : Christine Lozach).

Une bienfaitrice mélomane 

Veuve d’un magnat des chemins de fer russes et francophile, la baronne Von Meck achète le château de Bel-Air en 1883. Et avec lui son mobilier, les animaux de la ferme… en un mot, “clefs en mains”. Elle y vient avec sa famille et son personnel, dans son propre wagon blasonné aux armes des von Meck. Alors que la Russie connaît une crise économique, cet investissement représente un placement financier stratégique. 

La baronne russe apporte son aide financière à Nikolaï Rubinstein et à Claude Debussy, qu’elle engage comme professeur de musique et répétiteur pour ses enfants. Mais surtout, pendant plus de 13 années, elle est la bienfaitrice de Piotr Ilitch Tchaïkovski, grand compositeur russe.

La mécène lui verse une pension pour qu’il puisse se consacrer à son art, la musique. L’artiste reçoit 6 000 roubles par an, soit le double de la pension déjà fournie par le tsar Alexandre III. Nadejda von Meck et Tchaïkovski  échangent une volumineuse correspondance : plus de 1 200 lettres ! Le compositeur lui dédie même sa Symphonie n° 4.

La baronne Nadejda von Meck et Piotr Ilitch Tchaïkovski.

Dans une de ses lettres, en décembre 1883, elle décrit Bel-Air à Tchaïkovski :

« Que vous l’appeliez “mon château” mon gentil ami me gêne […] en réalité, il s’agit d’une petite maison seigneuriale construite dans le style Louis XIII. Vous savez sans doute, mon gentil ami, que c’est le plus laid de tous les styles français. Quand vous arriverez sur place, vous serez étonné de voir comme cette construction est vaste et spacieuse ».

La baronne semble enchantée par son séjour dans sa nouvelle propriété de la Membrolle. « Bel-Air est un emplacement extraordinairement poétique, écrit-elle, en même temps joyeux et plein de vie puisque, comme vous le savez, la Touraine est le jardin de la France. Cette phrase, chaque Français la prononce dix fois, dès qu’il parle de la Touraine…». 

La ferme de Bel-Air

Son étang et ses poissons, ses vaches, « le soleil qui éclaire cette herbe de velours », ses « arbres multicolores » et leurs « fruits admirables » … Pendant plusieurs années, Nadejda von Meck continue de vanter son Bel-Air au compositeur… qui ne s’y rendra jamais. Mais cela n’empêchera pas ses compositions d’arriver jusqu’aux oreilles membrollaises. En décembre 1885, sa Marche de Jeanne d’Arc est jouée dans l’église du village comme entrée pour la grand-messe.

Bel-Air, du château au centre de la Croix-Rouge

Malade de la tuberculose, Nadejda Von Meck revend Bel-Air en 1889 aux époux Laty. Tchaïkovski meurt en octobre 1893, la baronne ne lui survit que quelques mois et décède en janvier 1894 dans sa villa de Nice.

En 1918, la Société de Secours aux Blessés Militaires rachète Bel-Air. Il devient un hôpital sanitaire puis un sanatorium de la Croix-Rouge française. Des galeries de cure en bois et ensuite en dur et à étage sont aménagées devant le château.

Bel-Air à l’époque du sanatorium.

Bel-Air est ensuite converti en 1968 en maison de réadaptation fonctionnelle neurologique. Au fil des années, des constructions de plus en plus nombreuses entourent le bâtiment d’origine. Il faut maintenant un œil vigilant pour distinguer le château que décrivait la baronne dans ses lettres à Tchaïkovski.

Jean-Pierre Rimsky-Korsakoff lors du centenaire du centre de la Croix-Rouge de Bel-Air. (Photo : capture d’écran d’une vidéo réalisée par Nicole Moteau).

Le souvenir du château de la riche mécène est ravivé lors du centenaire du centre de la Croix-Rouge en 2018. L’événement a réuni la pianiste russe Olga Bobrovnikova, passionnée par Tchaïkovski et traductrice de ses échanges avec sa baronne, et le descendant de celle-ci, Jean-Pierre Rimsky-Korsakoff, en visite avec son épouse pour la deuxième fois à La Membrolle. L’occasion pour lui de présenter lors d’une conférence le lien qui unit son aïeule, Tchaïkovski et La Membrolle.