Par Michael Bourguignon et Gaëlle Le Roux
Ève Lavallière, l’une des plus grandes vedettes de théâtre de la Belle Époque aujourd’hui oubliée, a passé plusieurs mois à Chanceaux-sur-Choisille en 1917. Un séjour qui a bouleversé sa vie.
Il y a 90 ans, s’éteignait Ève Lavallière. Ce nom ne vous dit pas grand chose ? Rien de plus normal : celle qui fut l’une des plus grandes vedettes de la Belle Époque a depuis longtemps sombré dans l’oubli. Même de son long séjour à Chanceaux-sur-Choisille il ne reste aujourd’hui pas grand-chose, à part une rue bordée de pavillons et une sobre plaque de marbre dans l’église.
C’est pourtant dans ce tranquille village tourangeau qu’a basculé la vie de cette comédienne adulée par le tout Paris du début du XXe siècle, courtisée par les rois et les princes à travers l’Europe, couverte de fleurs et de cadeaux, encensée par la critique… « Ève Lavallière est magistrale, si un aussi gros mot peut s’appliquer à une personne aussi menue et aussi gracieuse », s’extasiait ainsi le critique Émile Faguet en 1909 au sujet de son rôle dans la pièce « Un Ange » d’Alfred Capus. « Son nom seul est la garantie du succès », résumait, en 1929, Per Skansen, journaliste norvégien à l’origine d’un recueil de lettres écrites par la comédienne.

Pendant une vingtaine d’années, Ève Lavallière, interprète de comédies légères très populaires à cette époque, a marqué de son empreinte la vie artistique française : muse des auteurs de théâtre les plus en vogue, elle a été immortalisée par le célèbre photographe Nadar et a inspiré plusieurs toiles et croquis à Toulouse-Lautrec… Elle est alors « l’une des gloires les plus charmantes et les plus précieuses du théâtre », écrit le dramaturge et académicien Robert de Flers, grand ami de l’artiste. Mais au printemps 1917, la comédienne « lasse d’une saison bien chargée, brisée par la vie bruyante et agitée de la capitale » vient se reposer quelques mois au château de la Porcherie, à Chanceaux-sur-Choisille (aujourd’hui château de Choisille).

Elle y fait une rencontre déterminante : celle de l’abbé Chasteigner, le curé du village. Un homme droit, généreux et tolérant, qui, à sa demande, lui enseigne le catéchisme. La religion deviendra sa raison d’être. Jamais plus Ève Lavallière ne remettra les pieds sur scène. « La décision qu’elle a prise de quitter pour toujours le théâtre est irrévocable. Ses collègues la pressent, la harcèlent de revenir à Paris. Elle reste sourde à toute supplication », décrit Per Skansen. Elle ne revient à Paris que pour vider, puis brader son hôtel particulier des Champs Élysées.

Celle qui deviendra trois ans plus tard sœur Ève-Marie du Cœur de Jésus ne reste que quelques mois à Chanceaux (de mai à fin août 1917, puis quelques jours à la fin de l’été 1918). Elle part ensuite à Lourdes, puis en Afrique du Nord pendant plusieurs années, en tant que missionnaire franciscaine, et s’installe enfin à Thullières, dans les Vosges. Mais jusqu’à la fin de sa vie, elle entretient une correspondance assidue avec l’abbé, « son bon parrain », sollicitant ses conseils, s’épanchant sur ses états d’âme – en particulier au sujet de sa fille Jeanne, objet de tous ses tourments, qui vit « dans le pêché » avec une autre femme. Longtemps aussi, elle chérit la petite église de Chanceaux : « [Elle est] maintenant [mon] lieu de naissance puisque c’est elle qui [m’a accueillie] pour [m’amener] à Dieu. C’est mon berceau, je l’aime comme on aime son pays natal », écrit-elle à l’abbé.
Jusqu’à sa mort, le 10 juillet 1929 à Thuillières, dans les Vosges, sœur Ève mène une vie de pauvreté et de pénitence, à 1000 lieues des fastes de sa vie parisienne. « Elle sait qu’il n’y a point de vedette au paradis », commente son ami Robert de Flers en 1926 après lui avoir rendu visite. « J’étais si éloignée de la bonne route, lui a confié l’ancienne étoile des Variétés. C’est par le diable que je suis arrivée à Dieu. Mais une conversion, c’est dur les premiers mois et même les premières années. On ne passe pas en un moment des ténèbres à la lumière ».