Par Sylvie Martin et Gaëlle Le Roux

Dix vaches, quelques hectares de légumes ou une poignée de canards en liberté… En Touraine, les toutes petites exploitations s’épanouissent grâce, notamment, au soutien des Amap, Associations pour le maintien d’une agriculture paysanne.

Au bout d’un chemin, noyée au milieu de champs immenses, la petite ferme de Fabian Jaubertou, à Bueil-en-Touraine (au nord de Tours) semble faire de la résistance. L’esprit qui règne sur ce petit bout de terre de 10 hectares est bien loin des monocultures environnantes : pas de pesticides ni d’herbicides, pas de tracteur, une mare pour l’arrosage… La parcelle sur laquelle Fabian fait pousser ses légumes est presque dix fois plus petite que la moyenne des exploitations agricoles du Centre-Val de Loire (94 hectares en 2017, selon les chiffres du ministère de l’Agriculture). Le maître des lieux ne s’en plaint pas, bien au contraire. Le trentenaire, qui se revendique « paysan » , se qualifie aussi volontiers de « jardinier de famille », et a fait le pari de rester loin, très loin, de l’agriculture intensive en optant pour la permaculture *.

« Je suis un peu jardinier de famille »

Fabian Jaubertou, maraîcher

En six ans, celui que nombre d’habitants du village prenaient pour un idéaliste a fait mentir toutes les prédictions de banqueroute : il parvient aujourd’hui à se sortir un salaire de 1 500 euros mensuels. Le pari était audacieux. Il l’a relevé grâce à trois Amap (voir encadré en bas de page), par lesquelles il distribue la quasi totalité de sa production. « C’est simple : sans les Amap, j’aurais laissé tomber. Je ne me serais d’ailleurs peut-être jamais lancé, assure le paysan. Nous avons créé une première Amap, l’Amap de la Choisille, il y a 6 ou 7 ans, en amont du lancement de l’exploitation. L’idée, c’était précisément de soutenir mon installation en maraîchage ».

 

Fabian Jaubertou, ancien comptable reconverti dans le maraîchage, a construit
son modèle économique en s’appuyant uniquement sur les Amap.

Coup de pouce financier

Animées par le principe de bienveillance, les Amap viennent aussi au secours d’exploitations en difficulté. David Audiguet, producteur de canards bio à Descartes, dans le sud du département, en est la parfaite illustration : il leur doit la survie pure et simple de son affaire. « Les premières années ont été compliquées. Les banques m’ont lâché. J’étais fini », se souvient le producteur. Puis, aiguillé par quelques exploitants, il « entre sur le marché des Amap ». Il met en place un système de « canard solidaire » : « Les familles m’ont acheté 300 canards, payés à l’avance, que j’ai fournis en l’espace de quatre ou cinq mois […]. Les Amap m’ont permis de constituer une trésorerie, ça m’a sorti la tête de l’eau ».

 

« Je ne me fais pas un gros salaire. Mais on se débrouille. En tout cas, je suis heureux »,
David Audiguet, éleveur de canards bio.

« Venir en aide à l’agriculture paysanne, donc aux petites exploitations, fait clairement partie de nos objectifs », souligne Mathilde Bürr, présidente de l’Amap d’Amboise. « Par exemple, on a récemment introduit la distribution de porc. On avait le choix entre plusieurs producteurs. On a préféré soutenir le plus petit, qui est en cours de conversion en bio. Il propose moins de produits transformés que d’autres, mais tant pis pour le jambon, c’est lui qui avait le plus besoin de nous ! »

Une quête de sens

Mais les Amap donnent aux paysans un sérieux coup de pouce bien au delà de l’aspect financier. Michel Galopin affirme par exemple avoir « retrouvé du sens à son travail ». Il élève un troupeau d’une dizaine de vaches à Charentilly (au nord de Tours) et vendait ses produits laitiers sur quatre ou cinq marchés toutes les semaines. Un mode de distribution chronophage, auquel il a mis un terme en se tournant vers les Amap. Il en fournit aujourd’hui neuf en Touraine. « Elles m’ont permis de me concentrer complètement sur la qualité de ma production et sur ma relation avec mes vaches », lâche-t-il.

« Grâce aux Amap, j’ai pu me concentrer sur ma relation avec mes vaches »

Michel Galopin, éleveur

C’est ce « sens », cette « philosophie du ‘bien consommer’», qu’évoquent unanimement les petits producteurs réunis un jeudi soir dans la halle de la place du marché à Amboise pour la distribution hebdomadaire de l’Amap de la ville. Le lieu est charmant, l’atmosphère agréable, les conversations vont bon train. Visiblement, Amapiens et producteurs sont ravis de se retrouver. C’est ce contact que vient chercher Frédéric Couque, maraîcher à La Ville-aux-Dames. « L’Amap ne représente qu’une toute petite partie de mon chiffre d’affaires. Mais ce que je viens trouver ici, c’est la reconnaissance. Quand on vient me dire que mes légumes sont bien meilleurs qu’ailleurs […], ça me donne une raison d’être. C’est super important, au même titre qu’un artiste qui se fait applaudir après une représentation. » Les Amap, poursuit-il, permet aussi parfois aux paysans de rompre l’isolement et d’échanger avec d’autres producteurs. « C’est aussi une plateforme d’entraide », résume le maraîcher. « D’entraide et d’échange », renchérit Guillaume Brisard, producteur de fruits à Saint Branchs. « Je viens ici pour rencontrer des gens, pour leurs valeurs, leur philosophie et leurs convictions. Se fournir ici, c’est un acte militant ».

 

Guillaume Brisard, jeune producteur de fruits en cours de conversion en bio, a écoulé à Amboise, pour sa première distribution en Amap 73 kg de cerises et repart avec 545 euros.

* La permaculture interdit le recours aux produits chimiques, limite le travail motorisé de la terre et mise sur l’interaction naturelle entre les être vivants.

Une Amap, c’est quoi ?
Les Association pour le maintien de l’agriculture paysanne, apparues au début des années 2000 en France, prônent la consommation de produits locaux et de saison, distribués en circuit court, et issus de petites exploitations respectueuses de l’homme et de l’environnement. Producteurs et consommateurs – appelés Amapiens – sont liés par un contrat : les familles s’engagent à acheter chaque semaine un panier payé en avance et à venir parfois prêter main forte aux producteurs lors de chantiers participatifs.