La création récente d’un nouveau cœur de bourg autour d’une grande surface a provoqué la désertification commerciale du centre-ville. Seul le bar-tabac-presse résiste.

Une vidéo de Thomas Goudal, Julie Cedo et Alexane Clochet 

             Il pleut. 15h30. Valentin Boutin, 26 ans, lève le rideau de son bar- tabac-presse. Après la pause déjeuner, Sorigny (Indre-et-Loire), au sud de Tours, se ranime. Sur l’ancienne nationale 10, le trafic reprend. Dans les rues du village, quelques passants. Les clients ne vont pas tarder à venir s’accouder au comptoir du Café des sports. Mais ils sont moins nombreux qu’avant. « C’est pas tous les jours simple, dit Valentin. Notre activité dépend de la vie de la commune.  Les gens vieillissent et les nouvelles générations n’ont pas le même mode de vie. Sans oublier le Covid, qui a cassé les habitudes. Et puis, les commerces à la campagne ont tendance à disparaître. »

 

                           

                           Tous les matins, Valentin Boutin s’occupe de son zinc.

 

A deux pas de l’établissement, la pharmacie Lordonné est fermée depuis 2012. Le local à été transformé en un logement. Un peu plus loin la vitrine de la boulangerie historique a été recouverte de peinture blanche. Son enseigne a souffert du temps qui passe. Juste en face, le bureau de poste est condamné : Il mettra la clé sous la porte en 2023. Quant à l’auberge-hôtel de la mairie, elle ne reçoit plus personne depuis septembre 2021. « Le centre bourg s’est déplacé autour du Auchan qui vient d’ouvrir sur la nationale. Désormais nous sommes isolés, déplore Christelle Boutin, la mère de Valentin, la dynamique gérante du café des sports qu’elle tient depuis 2015. Le bar est très calme et avec la conjoncture le tabac ralentit aussi, Autrefois, la messe du dimanche nous amenait pas mal de monde mais il n’y a plus de messe… »

Un lieu de vie capital du centre bourg

Ce matin, comme tous les matins, Alan, 26 ans, est quand même passé prendre son café. Quant à Bernard, 43 ans, il continue à venir acheter ici son paquet de cigarette quotidien. « Le Café des sports est le seul tabac du coin, pour moi, c’est un passage obligatoire », explique-t-il. Attablés sous l’écran de télévision XXL, qui diffuse les informations, trois employés d’une entreprise de la zone industrielle toute proche partagent des consommations. « On vient de débaucher. On a commencé à bosser hier soir à 22 heures. Là, c’est notre moment de détente à nous », raconte Cédric, 31 ans, l’un d’entre eux. Le café des sports est un lieu de vie capital du centre bourg désormais très tranquille. « J’habite à Sainte-Maure-de-Touraine, un peu plus au sud, précise Cédric, et chez nous il y a encore pleins de magasins ouverts. »

 

                           

                           A l’heure de pointe, les clients débarquent pour acheter du tabac, boire un demi ou récupérer un colis.

 

Selon Olivier Razemon, journaliste, auteur du livre-enquête Comment la France à tué ces villes (Rue de l’échiquier, 2016), il s’agit d’un phénomène classique : « En raison de la proximité d’une grande ville, ce genre de village se transforme au fil des ans en petite ville dortoir. L’économie devient plus tertiaire et le commerce s’adresse aux nouveaux habitants. » A Sorigny, l’implantation d’Auchan à permis la création d’une petite zone commerciale autour d’un parking, à quelques rues du vieux centre-bourg. On y trouve sur la même allée une épicerie, une boulangerie, un distributeur, un coiffeur et une pharmacie. Une halle à vu le jour récemment. Elle accueille un marché tous les quinze jours.

Le village est devenu une petite ville

Pour certains habitants, ces aménagements sont une bonne chose. « Il y a de meilleurs services. C’est plus grand, il y a plus d’activité, estime Cédric. Le village est devenu une petite ville. Maintenant, est-ce que tout ça enlève de la clientèle au café des sports ? Je ne pense pas… »  Christelle Boutin est formelle : elle a perdu des habitués. « La restructuration du centre-bourg à conduit à modifier le plan de circulation. Il y a beaucoup moins de passage devant le bar. », regrette-t-elle. Valentin ajoute : « Ce n’est pas facile. Mais personnellement c’est un challenge qui m’a fait mûrir. » Pour autant, après avoir envisagé un déménagement, ils ont décidé de rester fidèle à la rue de la Poste.

 

                       

                       Le café des sports est l’un des commerces historiques de Sorigny encore ouvert.

Olivier Razemon constate qu’il y a « de plus en plus de gens qui ne veulent pas se laisser faire, qui disent : « Nous, on tient à notre vie de village. » Il y a une prise de conscience. » « Quand j’ai repris le Café des sports, c’était pour y finir ma vie professionnelle. Comme je n’ai pas encore l’âge de la retraite, je vais continuer ici », lance Christelle Boutin en riant. « Si cet endroit devait disparaître, ça ferait un sacré trou dans le cœur des gens », assure Cédric. Les clients pousseront encore la porte de l’établissement pour venir retirer leurs colis, acheter leur tabac à rouler, boire un demi ou un café, grignoter des pistaches en parlant du tiercé avant d’aller jouer aux fléchettes. Ou pour parler avec Christelle et Valentin. « Bonjour ! ça fait longtemps qu’on ne t’a pas vu ! » « Bah oui, j’avais du boulot, mais là c’est calme donc j’en ai profité pour passer te voir. » C’est un morceau de vie à Sorigny. Il est 17 heures. La pluie a cessé. Un peu de soleil brille.

Ce travail est le fruit d’un partenariat entre le projet Go On ! porté par la mission locale de Tours et des étudiants de l’École publique de journalisme de Tours (EPJT), qui pilotent le site d’information participatif Détours.

Le projet Go On ! a pour but de repérer les publics dits « invisibles » et de mener des actions de mobilisation. Pendant quatre jours, trois étudiants ont accompagné deux jeunes dans la réalisation d’une production éditoriale sur le sujet et le support de leur choix. À la fin de l’atelier, un article écrit et une vidéo ont été diffusés.

Go On ! est financé par la Direccte Centre, dans le cadre du Plan d’Investissement Compétences (PIC). L’EPJT est membre du consortium qui porte le projet.